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Le calamar géant : révélations sur la créature des profondeurs

23 septembre 2019 | Science

Le calamar géant est l’invertébré le plus grand de la planète, pouvant mesurer 12 mètres, ou plus. Connu pour sa discrétion, il vit dans les fonds océaniques entre 600 et 1300 mètres de profondeur où il rencontre parfois son redoutable prédateur : le cachalot. Ayant alimenté les plus grandes légendes, il a pu être observé dans son milieu naturel à partir de 2004 uniquement grâce à une inventivité technologique jamais employée jusqu’alors.

Il accumule les superlatifs

Le calmar géant est l’invertébré le plus grand de la planète. Paradoxalement, c’est aussi le moins connu. Ce céphalopode vit discrètement entre 1 300 et 600 mètres de profondeur.

La connaissance que nous avons de sa morphologie provient des échouages côtiers et, plus récemment, des prises occasionnelles des pêcheurs hauturiers dans leurs grands chaluts.

Récemment, des chercheurs ont tenté d’établir des statistiques sur la longueur des quelques centaines de spécimens répertoriés depuis la fin du XIXe siècle. Les 19 mètres relevés sur un spécimen échoué en Nouvelle-Zélande en 1887 n’est pas validé, à moins qu’il s’agisse d’une autre espèce.

On estime aujourd’hui que la plupart des Architeuthis mesurent entre 10 et 12 mètres, bras compris. Mais un spécimen de 20 mètres semble encore possible. Quant au poids, il n’y a pas à ce jour de valeurs fiables, ces organismes étaient forts peu commodes à peser ! Pour l’anatomie, on relève peu de différences avec leurs congénères de petites tailles présentes sur les étals de poissonniers.

L’avant dernier sur la chaîne alimentaire

Comme on s’en doute, ces géants sont des prédateurs bon teint. Ils se nourrissent de poissons, de crustacés, mais aussi de céphalopodes pélagiques. Sommet de la chaîne alimentaire ? Pas tout à fait ; plutôt avant dernier stade, avant son plus redoutable prédateur : le cachalot.

« Cachalot, seul prédateur du Calamar Géant » © Renversade Camille

Cette force de la nature trouve le calmar géant tout à fait à son goût, ainsi qu’on peut le noter par la présence de très nombreux becs de perroquet (mandibules en chitine, indigérable) dans son estomac, et des empreintes de ventouses sur son corps, témoins de formidables combats sous-marins.

Des études ont montré qu’il peut chasser ses proies jusqu’à 1000 mètres de profondeur grâce à des apnées de 2 heures. Il les détecte avec un véritable radar qu’il possède dans son cerveau. L’encre que le calamar géant est capable de projeter en cas de danger est probablement peu efficace pour réussir une fuite salvatrice devant un tel gaillard.

Peut-on imaginer des combats homériques entre deux géants de la planète : le plus grand invertébré contre le plus grand mammifère ? Si l’on en croit les récits de Louis Lacroix dans son livre « Les derniers baleiniers français » (1968), des pêcheurs auraient vu un cachalot et sa proie morts ensemble. Avec l’extrémité de son long bras, le calmar aurait obstrué l’évent du cachalot et entraîné ainsi sa mort par asphyxie.

 © Michel Amat

Bio Express

Expert en écologie de la faune abyssale, il acquiert en 1970 une première expérience dans l’étude des oiseaux des îles subantarctiques (archipel des Crozet), puis étudie les grands mammifères des parcs nationaux du Sénégal. En 1974, il monte à l’Ifremer (Bret) le Centre National de Tri d’Océanographie Biologique (CENTOB), laboratoire créé en partenariat entre le Muséum de Paris et l’Ifremer afin d’identifier les animaux récoltés lors des campagnes d’exploration du milieu abyssal. L’activité du CENTOB a été bouleversée, décuplée, par la découverte en 1977 des communautés animales, inconnues jusqu’alors, des sources hydrothermales le long des dorsales sous-marines. Pendant toute sa carrière, il a alterné campagnes à la mer et travail de tri en laboratoire, et publie de nombreux articles en collaboration avec les taxonomistes décrivant des centaines d’espèce nouvelles des grands fonds. Il concrétise le rêve de tout zoologue lorsqu’il découvre en 2005 un animal inconnu appartenant à une famille nouvelle pour la Science, la « galathée yéti » (Kiwa hirsuta), un magnifique crustacé couvert de soies blanches, dont la photo a fait le tour du monde, et acquiert une gloire planétaire.

« Galathée Yéti (Kiwa hirsuta) » © Ifremer

Observer le calamar géant, un exercice de style

Comment admettre qu’avec les moyens d’observation modernes on en connaisse toujours aussi peu sur le plus grand mollusque de la planète. Au moins le voir évoluer dans son milieu ! C’est ce que plusieurs équipes de chercheurs, dotés d’une technologie de pointe ont tenté pendant près de 20 ans.

Tentatives d’observation directe de calmar géant in situ :

Le Japonais Tsunemi Kubodera décide de relever ce défi auquel il va s’accrocher pendant 15 ans. En 2004, avec son équipe (dont Edith Widder, océanographe américaine), un appât et du matériel photo, il réussit à obtenir les premières photos d’un calmar de taille moyenne au large du Japon par 900 mètres de profondeur. Et en juillet 2012, avec les moyens de la chaîne TV spécialisée Discovery Channel et le sous-marin américain Triton, il obtient la première séquence vidéo de l’animal dans son milieu.

Voir la vidéo

La concrétisation du mythe

Tout récemment, pour des causes encore inconnues, plusieurs calmars géants ont été vus fin 2015 dans un port de la côte ouest du Japon. Certes il s’agissait de juvéniles de 3 mètres de longueur. Certes encore ils étaient souffreteux car ils n’étaient pas dans leur milieu naturel. Mais ils ont pu évoluer devant un grand public de curieux et les caméras de plongeurs, offrant ainsi des images originales et tout à fait remarquables de ce géant pour lequel il n’était plus nécessaire de dépenser des fortunes pour le surprendre !

Dès lors, après ces différentes rencontres, le mythe du monstre de l’Antiquité, relayé par le Kraken scandinave, ainsi que le terrible légendaire calmar s’en prenant au Nautilus du capitaine Nemo, était fort mis à mal. Le calmar géant pouvait faire partie du bestiaire marin au même titre que nos sympathiques cétacés. Mais les mythes ont la vie dure, surtout au sein de la communauté des marins.

En 2003, notre célèbre navigateur Olivier de Kersauson à bord de son magnifique trimaran Geronimo, tente de battre le record du tour du monde. Quelques jours après, on apprend par la presse que « le bateau est stoppé par un calmar géant ». Le lendemain, les journalistes nous interrogent sur ce céphalopode légendaire capable d’une audace sans pareille pour oser s’attaquer à l’Amiral en pleine course ! Les différentes démarches proposées pour vérifier les empreintes du mollusque sur son bateau à sec sont restés vaines à ce jour. Il faut savoir que la course s’appelait « Trophée Jules Verne »…

« Représentation du « poulpe colossal », peint par Pierre Denys de Montfort (1810), influencé par le mythique Kraken »

Quoi qu’il en soit, qu’un grand navigateur fasse une telle rencontre des millénaires après celle d’Ulysse aux prises avec Scylla, le monstre d’Homère, à la même latitude, voilà qui ne manque pas de poésie ! Et d’ailleurs, le grand Homère lui-même ne terminait-il pas son œuvre en écrivant : « Les poètes sont de fieffés menteurs ! ».

Un symbole de la protection d’écosystèmes

S’il est un animal qui symbolise la conservation du milieu terrestre, c’est bien l’ours panda. Dans le milieu marin, le dauphin est également considéré comme symbole de la protection des espèces marines de surface, notamment les cétacés. Mais le milieu plus profond ne fait pas l’objet d’une attention aussi soutenue.

Alors, si le calmar géant n’est pas une espèce en voie de disparition, il peut être désigné comme le représentant de milieux à protéger car il vit entre 600 et 1300 mètres de profondeurs, dans des canyons extrêmement riches en faune très variée.

Ces milieux sont encore peu étudiés des scientifiques car difficiles d’accès. Le calmar géant, encore peu connu et entouré de mystères, reste un animal fascinant aussi bien pour les représentations médiatiques que pour le grand public, et pour les scientifiques.

A ces titres-là il peut être – il doit être ! – considéré comme emblématique de la connaissance et de la protection de ces environnements porteurs de communautés animales particulièrement riches et menacés par la grande pêche.

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